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🕓 Temps de lecture : 11 minutes
Ecrit par Sawsane le 26 juin 2024
D’après Peter McAllister, directeur exécutif d’Ethical Trading Initiative, le prix d’un vêtement est le meilleur indicateur des conditions de travail.
« Quand un vêtement affiche un prix très bas, est-il vraiment possible qu'il soit issu d'une usine bénéficiant de bonnes conditions de travail et des salaires décents ? »
La question des salaires dans l’industrie du textile est plus que jamais d’actualité en pleine pandémie de COVID 19. Sur Instagram, les publications arborant l’hashtag « #PayUp » se multiplient.
Des marques comme Topshop ou Primark ont décidé d’annuler un grand nombre de commandes – d'un montant qui avoisine les 2,7 milliards d’euros, pour certaines déjà terminées ou en cours de traitement. On estime à près de 20 000 le nombre de travailleur.se.s affecté.e.s par ces annulations, sans compter leur entourage.
Mais par « salaire », on veut dire quoi concrètement ?
Depuis quelques années, des ONG telles que la Clean Clothes Campaign ou encore l’Asia Floor Wage Alliance, militent pour la reconnaissance d’un « salaire décent » ou « salaire vital ».
A lire aussi : 💬 Dénoncer les salaires indécents dans l'industrie textile
Le salaire minimum est le salaire plancher. En gros, l’employeur ne peut légalement pas verser un revenu inférieur au montant défini. Le revenu est défini :
Le salaire vital est le salaire qui permet aux travailleur.se.s de répondre à leurs besoins de base et ceux de leur famille : loyer, alimentation, éducation, transport, ou santé.
Pourquoi un salaire vital plutôt qu’un salaire minimum ?
Souvent le salaire minimum se révèle insuffisant pour assurer un niveau de vie décent.
Comment calculer un salaire vital ?
Il n’existe pas de calcul universel pour le définir. Pour ce qui est du « salaire vital », le contexte varie BEAUCOUP selon qu’on se place en Europe ou en Asie, où le travail informel est structurellement plus répandu.
Néanmoins l’Asia Floor Wage Alliance a établi quelques éléments pour déterminer ce qui constitue un salaire décent dans l’industrie du textile en Asie :
d'après l'AFWA (2013)
Dans de nombreux pays, le salaire vital est bien supérieur au salaire minimum. Parmi les principaux pays exportateurs de l’industrie, les salaires nets fournissent à peine 1/3 du salaire considéré comme « vital ». Au Bangladesh, cette part tombe à 14%.
Pour ne rien arranger, les entreprises ont diminué la part des bénéfices revenant aux ouvrier.e.s du textile au cours de la dernière décennie. L’écart entre le salaire moyen d’un travailleur.se et salaire vital s’est accru.
La campagne « H&M Turn Around », lancée par la Clean Clothes Campaign, s’est intéressée aux promesses formulées par le géant de la fast-fashion, après le drame du Rana Plaza.
Un extrait du document de la campagne #TurnAround par H&M | © L'Ethique sur l'Etiquette
En novembre 2013, la multinationale s’engage à verser d'ici 2018 un salaire décent à près de 850 000 employé.e.s, partie prenante de la « sous-traitance stratégique » de la marque.
Sans trop de surprise, ces belles annonces n'étaient en fait que du pipi de chat.
L'ensemble des interrogé.e.s dit recevoir un salaire loin du salaire vital et avoir une famille vivant sous le seuil de pauvreté.
H&M a par ailleurs investi l’Ethiopie, devenu désormais le pays où les coûts salariaux bon marché sont les plus bas au monde – seulement 26$ par mois et par ouvrier.e, soit le prix d'une consultation chez son généraliste.
Et si on faisait le point sur les salaires de l'industrie textile ?
d'après les données de l'AFWA (2013) et de l'ONPES (2015)
💵 Salaire minimum : 95$
💰 Salaire vital : 404$ (d’après l’AFWM)
📊 Différence entre salaire minimum et vital en % : 325%
Si les salaires versés au Bangladesh sont plus élévés que ceux observés en Ethiopie, la situation n’en demeure pas moins préoccupante. Ainsi, le pape François déclare au sujet des salaires en vigueur en 2014 qu’il s’agit du « prix de l’esclavage ».
Pour Alternatives Economiques, les alternatives offertes aux ouvrier.e.s textile Banglais.e.s sont bien pire. Le secteur de l’agriculture, qui emploie près de 2/3 de la population en 2013, dégage seulement 18% du PIB.
En effet, les travailleur.se.s du textile perçoivent un salaire légèrement supérieur au salaire moyen. Le salaire minimum du secteur a par ailleurs été revalorisé à de nombreuses reprises ces dernières années :
💵 Salaire minimum : 180 à 182$
💰 Salaire vital : 476$ (d’après l’AFWA)
📊 Différence entre salaire minimum et vital en % : 162%
Le cas de Nike (encore et toujours !) constitue une étude de cas intéressante concernant l’industrie textile du Vietnam.
« Les employeur.se.s refusent de verser les salaires si des heures supplémentaires ne sont pas réalisées »
Clean Clothes Campaign
« Selon la localisation de l’entreprise, les salarié.e.s reçoivent entre 118$ and 171$ par mois pour une semaine normale. Mais les employeur.se.s refusent régulièrement de verser les salaires si des heures supplémentaires ne sont pas réalisées » selon la Clean Clothes Campaign.
Malgré les engagements de la marque, des malversations continuent de se produire.
Quelques améliorations notables – mais insuffisantes : le salaire est passé de 20 centimes par heure dans les années 90 pour une semaine de 70h à une rémunération comprise entre 61 et 89 centimes par heure en 2016 pour un volume hebdomadaire de 48h.
Nike préfère dépenser en marketing plutôt que de fournir un salaire décent à ses travailleur.se.s | © REVOLT / Unsplash
À titre de comparaison, en France, le SMIC horaire est de 11.52€ par heure.
Tout comme au Bangladesh, les syndicats cambodgiens sont très actifs. Peu après les incidents du Rana Plaza, des grèves ont été organisées, allant jusqu’à la mise en place d’une grève générale le 29 décembre 2013.
Les représentant.e.s des travailleur.se.s entendent porter le salaire minimum de 95$ à 160$. Le 8 octobre 2015, il a été fixé à 140$, à compter du 1er janvier 2016.
💵 Salaire minimum : $326
💰 Salaire vital : 642$ (d’après l’AFWA)
📊 Différence entre salaire minimum et vital en % : 97%
Premier exportateur de l’industrie du vêtement, juste devant le Bangladesh, la situation de la Chine a beaucoup évolué depuis les années 2010, malgré des rapports réguliers d'abus.
La conséquence ?
Beaucoup de marques ont depuis délocalisé leur production. Parallèlement le prix moyen des vêtements importés de Chine par les Etats-Unis était plus faible en 2013 qu’en 2008.
De plus, le salaire en vigueur dans le secteur textile Chinois ne s’élève qu’à 20% du salaire national moyen. Un ouvrier en manufacture classique gagne en moyenne deux fois plus selon une étude de 2014.
Le dernier scandale en date concerne la marque de prêt-à-porter d’Ivanka Trump. D’après un audit rapporté par le NY Times en 2017, les travailleur.se.s réalisent des semaines de 60h pour de maigres revenus – entre 255$ et 283$.
Si au niveau mondial, le salaire moyen réel a légèrement augmenté en 2011, les salaires de l’industrie textile et des vêtements restent à la traîne.
Les salaires moyens dans le secteur sont 35 % plus faibles que le salaire moyen de l’industrie manufacturière en 2013, selon un rapport de l’ONUDI.
Quelles solutions dès lors ? Plusieurs acteurs peuvent prendre part à l’amélioration des revenus.
Les gouvernements peuvent faire le choix d’indexer les salaires minimums sur les salaires vitaux préconisés par des organisations et des ONG.
Il s’agit également d’imposer des mesures contraignantes voire des sanctions, comme le propose la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d'ordre votée en 2017 par l’Assemblée Nationale.
Pas de mise en place par l'entreprise d’un plan de vigilance = mise en demeure.
Si trois mois plus tard, l’entreprise ne respecte toujours pas ses obligations, le juge est saisi. L'entreprise peut alors être amenée à verser des dommages et intérêts aux victimes.
La réglementation et la fixation des salaires font partie intégrante du mandat de l’OIT. Plusieurs textes traitent ainsi du sujet :
A lire aussi: 💬 Les fondamentaux de l'OIT
Les marques de vêtement et les compagnies doivent mettre en place des améliorations concrètes et mesurables pour s’assurer que les travailleur.se.s sont payé.e.s convenablement.
Elles peuvent également se constituer en tant que parties d’agréments contraignants comme l’Accord, renouvelé en 2018, qui prévoit notamment la mise en place d’inspections à l’improviste au sein d’usines affiliées aux multinationales.
En jouant également sur la redistribution de leurs bénéfices et en révisant leur modèle économique, les grands groupes sont en mesure d’assurer un salaire décent aux travailleur.se.s.
Ainsi l’infographie « Le coût du respect selon Zara » du collectif l’Ethique sur l’étiquette, montre qu’en dehors de toute variation de prix pour un produit donné, la diminution des marges de la marque permet d’augmenter les revenus des sous-traitant.e.s.
© L'éthique sur l'étiquette
Chez WeDressFair, la transparence ne s'arrête pas à un simple "Made in..." sur une étiquette. Pour nous, une réelle transparence implique de savoir précisément dans quelle usine a été fabriqué un vêtement éco-responsable pour femme ou un vêtement éco-responsable pour homme, et dans quelles conditions.
Ainsi, pour tous les produits sur le site, vous avez accès à l'usine dans laquelle il a été confectionné. Car chaque article a une provenance précise, nous vous donnons accès au nom de l'usine, ainsi que sa localisation, ses engagements éthiques envers ses salariés et ses labels.
Par la mise en place de données concrètes, d’enquêtes de terrain, les ONG sont en mesure de dénoncer la salaires indécents versés aux salarié.e.s du textile. Leur travail de sensibilisation et de lobbying aura notamment permis des mesures majeures.
La transparence reste encore un enjeu de taille pour les marques. En tant que consommateur.rice, on se demande d’où viennent nos vêtements, par qui ils ont été produits et dans quelles conditions.
Ecrire aux marques par le biais des réseaux sociaux, se renseigner auprès des magasins physiques : tout cela participe de notre droit à l’information.
C’est aussi en suivant des sites de veille, qu’il est possible d’en savoir plus sur les agissements des marques hors de la sphère publique. Les pétitions jouent aussi un rôle certain !
Repenser son rapport aux marques, c’est aussi repenser sa consommation. Moins consommer pour mieux consommer.
Privilégier les marques qui intègrent une démarche responsable, respectueuse des salaires et de l’environnement, avec une véritable traçabilité.
Parce que même à notre petite échelle, on peut bousculer le statut quo et exiger un salaire vital pour tou.te.s !
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